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Média et démocratie au Cameroun : Arguments et arguties d’une liberté de communication sociale 1990-2020

Trente ans après la loi du 19 décembre 1990 sur la liberté de communication sociale au Cameroun, le paysage médiatique n’est pas totalement à l’heure de la démocratie médiatique. La libéralisation a entraîné un foisonnement de titres de presse, de radios, de télévision, de blogs et sites web d’information. Dans l’exercice de cette liberté, notre hypothèse est que malgré le contexte de retour au multipartisme en 1990, il demeure une tendance manifeste à la reproduction d’un monolithisme médiatique au Cameroun. Cet état des choses est l’illustration d’une emprise des médias publics et privés par la machine administrative tant dans la collecte, le traitement de l’information que dans les garanties de la viabilité des entreprises. La conséquence de cette monopolisation de l’espace médiatique par des hommes et des femmes au service de l’ex parti unique au pouvoir est l’absence d’alternance au sommet de l’État sur la période 1990-2019. Cet article convoque l’approche fonctionnaliste et de l’agenda setting pour montrer comment, les médias camerounais ont entravé, sous la contrainte de la machine administrative pour le privé et de la coalition de nombre de journalistes du public à l’ex parti unique au pouvoir la socialisation des citoyens aux valeurs démocratiques dont l’alternance est un indicateur non négligeable. Ce travail exclut les périodes électorales où les médias sont sous un régime de régulation spéciale afin de donner la parole aux différentes forces politiques en lice.

 

Mots clés : Démocratie médiatique, liberté de la communication sociale, alternance politique.

 

Abstract

Thirty years after the law of December 19, 1990 on freedom of social communication in Cameroon, the media landscape is not totally in the era of media democracy. Liberalisation has resulted in a proliferation of press, radio, television, blog and news headlines. In the exercise of this freedom, our hypothesis is that, despite the context of the return to a multiparty system in 1990, there remains a manifest tendency to reproduce a media monolithism in Cameroon. This state of affairs is an illustration of the grip of the public and private media by the administrative machine both in the collection, processing of information and in ensuring the viability of businesses. The consequence of this monopolisation of the media space by men and women in the service of the former single party in power is the absence of political alternation at the top of the State over the period 1990-2019. This article summons up the functionalist approach and the agenda setting to show how the Cameroonian media have hampered, under the constraint of the administrative machine for the private sector and the coalition of many journalists from the public to the former single party in power the socialization of citizens with democratic values ​​whose alternation is a significant indicator. This work excludes electoral periods when the media are under a special regulatory regime in order to give voice to the various political forces in contention.

Keywords: Media democracy, freedom of social communication, political alternation

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            Au Cameroun, le retour au multipartisme est concomitant à la libéralisation de la communication sociale à travers la loi du 19 décembre 1990[1]. Depuis son entrée en vigueur, le pays connaît une pluie de titres et d’organes audiovisuels, plus particulièrement à partir de 2000. Avec la montée des technologies de l’information et de la communication, le paysage médiatique s’adapte avec la création d’espaces cybernétiques pour la diffusion de l’information. Une telle évolution laisse poindre une diversité de supports corolaire d’une pluralité d’opinion consolidée par le discours officiel sur la liberté d’expression. En 2016, le Cameroun comptait par exemple pas moins de 600 journaux, 102 stations de radio et 60 chaînes de télévision. Cette estimation semble être, à premier vue, un indicateur voire un argument majeur pour illustrer la démocratie médiatique et, par ricochet, la vitalité du 4ème pouvoir au Cameroun. Sauf que, malgré cette évolution quantitative, le saur qualitatif, marqué par une ouverture aux différences forces politiques tarde à se concrétiser ; en oblitérant les libertés garanties par la constitution.

            Trente ans après l’avènement des lois sur les libertés publiques et de la communication sociale, le Cameroun connaît un recul ininterrompu dans les classements mondiaux lorsqu’on se réfère aux rapports annuels de l’organisation Reporters Sans Frontières, entre 2013 et 2020[2]. À côté de cette contreperformance au baromètre la liberté d’expression dans le secteur des médias, d’autres pratiques telles que la tolérance administrative dans le secteur de l’audio-visuel et cette sorte de frontière entre les médias à capitaux publics et ceux détenus par des acteurs du secteur privé s’apparentent à une épée de Damoclès sur les médias à l’ère de la démocratie.

            Ce décor permet en réalité d’évaluer 30 ans de liberté de communication sociale à l’épreuve de la démocratie. Mieux, il convient d’explorer la relation entre la démocratie médiatique et la représentation politique au Cameroun. Pour y parvenir, il est possible de convoquer des monographies. Si l’intérêt repose sur une volonté de représentation la plus totale ou fine d’un objet, il importe d’apporter quelques précisions. Cet article exclut les périodes de campagnes électorales au cours desquelles les médias sont soumis à une régulation spéciale. Pour l’ancrage théorique, notre contribution fait appel à plusieurs théories. De l’approche fonctionnaliste des médias développée par Lasswell à l’Agenda Setting en passant par la théorie des relais two steps of communication. Nous ferons principalement usages des deux premières dans la mesure où elles nous semblent appropriées pour donner sens à une rétrospective des 30 ans de liberté de la communication sociale au Cameroun. En effet, dans l’espace public, la « fonction de surveillance » reconnue aux médias « correspond selon Lasswell à la collecte, au traitement et à la mise à disposition du public des nouvelles »[3]. Derrière la fonction de surveillance, Lasswell établit la mise en relation comme « l’étape de l’interprétation de l’information, l’interprétation souvent suivie de prescriptions de conduites »[4]. En définitive, il est observé une transmission d’héritage social par les médias. « Lasswell entendait assimilation des gens vivant dans une société, ce que Wright appelle plutôt processus de socialisation »[5].

 

[1] Loi N°90/052 du 19 décembre 1990 sur la liberté de communication sociale. Elle a été modifiée le 4 janvier 1996.

[2] Suivant les données de Reporters sans frontières, en 2020, le Cameroun occupe la 134e place sur 180 pays soit une perte de 3 points par rapport à 2019. En 2018, le pays est à 129/180 contre 130/180 en 2017. En 2016, le Cameroun est classé 126/180 contre 133/180 en 2015. En 2014, le pays est 131/180 contre 120/180 en 2013. https://rsf.org/fr/cameroun , visité le 06/06/2020.

[3]Gbaguidi Jean Euloge, Lokonon Clémentine, Ahotondji Maxime, Yemadjro Léa, Mass Media et démocratie en Afrique occidentale : Presse audiovisuelle et construction démocratique au Benin : de la nécessité de deux niveaux de lecture des mutations en cours, Research report N10 2008, p. 19.

[4] Ibid.

[5] Ibid.