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Revue Dialectique des intelligences 09 - Dossier : Le Tchad à la croisée des chemins. Résistances des forces anti-démocratiques et défis d’émancipation politique et stratégique

Le Tchad à la croisée des chemins

Ce numéro de Dialectique des Intelligences se propose d'interroger les dynamiques politiques et stratégiques complexes et fort diverses qui ont concouru à la récente mort du président tchadien Idriss Déby Itno. En effet, le décès tragique du président tchadien Idriss Déby Itno, le 20 avril 2021, dans les circonstances encore non élucidées, ouvre une période d’incertitude et charrie d’importants enjeux politiques et stratégiques. Cette disparition est l’expression la plus aboutie des soubresauts politiques, de l’instabilité chronique qui jalonnent l’histoire politique du Tchad depuis son accession à l’indépendance et des batailles géostratégiques que se livrent les grandes puissances pour le contrôle du pétrole de ce pays hautement stratégique. Le refus du président Hissène Habré d’implémenter les résolutions issues des travaux de la conférence franco-africaine de la Baule, de juin 1990, a contribué à fissurer les liens entre celui-ci et la France. Bien plus, le désir du président Habré de confier l’exploitation du pétrole tchadien aux firmes américaines a suscité une véritable « levée de boucliers » des responsables politiques français qui ont, par l’entremise des forces spéciales françaises et des troupes dirigées par Idriss Déby Itno, occasionné la chute du président Habré le 01 décembre 1990. Cette « scène de ménage » entre Paris et Ndjamena n’a pas pour autant conduit, au-delà des prises de position discursives et opportunistes du président François Mittérand, à l’arrimage du Tchad à la démocratie.

En dépit des contraintes locales et internationales, en faveur de la routinisation des principes, des pratiques et des valeurs démocratiques, le mutisme assourdissant de Paris face à la construction autoritaire de l’ordre politique et sécuritaire par Idriss Deby, a grandement contribué à l’enracinement des involutions démocratiques au Tchad. Le début de l’exploitation du pétrole, en 2003, a provoqué un profond désintérêt pour la marche vers la démocratie. Il est d’ailleurs notoire qu’au Tchad, la défense des intérêts stratégiques des grandes puissances s’est toujours faite au détriment de la stabilité de l’ordre politique. Les présidents Hissène Habré, François Tombalbaye et Idriss Deby Itno l’ont appris à leurs dépens. Il semble pourtant qu’à la suite de ses prédécesseurs, le chef de la junte militaire au pouvoir, le général Mahamat Idriss Déby Itno semble incapable d’opérer la nécessaire mue politique et stratégique susceptible d’aider le pays à se défaire des tutelles étrangères et d’arrimer le pays à la démocratie, gage de l’exorcisation de la spirale (éternelle ?) de violence. Or une telle configuration, seul l’arrimage irréversible des responsables politiques tchadiens à la démocratie et à la compétition de puissance sont susceptibles d’aider le pays à conjurer les divers maux qui entravent son développement.

Sur cette lancée, la gestion patrimoniale de l’industrie pétrolière constitue une des principales variables explicatives de trajectoire politique erratique du Tchad. Si l’instabilité politique a longtemps retardé le lancement de la production du pétrole tchadien, l’hyper militarisation du régime Déby a favorisé la sanctuarisation des intérêts des parties. La continuité politique privilégiée dans l’ère post-Déby vise alors à assurer le statut quo utile à la préservation des équilibres politiques au Tchad et en dehors (Fabrice Noah Noah). En effet, l’instabilité chronique dans laquelle est plongé le pays est la conséquence de la logique d’indépendance-coopération qui a structuré l’accession de ce pays à la souveraineté internationale. L’instabilité chronique et l’extraversion de ses dirigeants ne sont en réalité que les stigmates du projet néocolonial gaulliste dans les anciennes colonies françaises d’Afrique (Jean-Claude Edjo’o Ndongo). Arrivé au pouvoir en décembre 1990 avec le soutien bienveillant de la France, le défunt président Idriss Deby Itno n’a pas réussi à stabiliser le pays. Englué dans une importante collusion avec Paris, ce dernier a priorisé la construction d’une image prestigieuse du Tchad au le plan international, tout en se détournant des réels problèmes internes du pays dont il avait la charge (Marguerite Chantal Embiede Eballa).  Cette inculture stratégique du président Idriss Déby Itno a fait du Tchad un véritable sanctuaire de conflits ethno-tribaux, transnationaux et internationalisés, où la véritable compétition politique se déroule entre les acteurs qui possèdent les moyens de la force des armes (Serge Eric Dzou Ntolo). Si l’armée tchadienne sous Idriss Déby est appréciée pour son rôle dans le dispositif de riposte face au terrorisme niveau régional, dans sa projection pour une paix civile durable en interne, sa configuration prédispose à la multiplication des stratégies d’une « guerre ingagnable » pour le maintien d’un pouvoir militaire clanique avec ou sans treillis entre 1990 et 2020. De ce fait, l’inconsistance au niveau interne est susceptible de fragiliser les acquis stratégiques de l’armée tchadienne dans son déploiement externe (Pierre Le Grand Nka et Ali Moukthar Ali).

 Pour conjurer cette instabilité chronique, il est important de concevoir des mécanismes qui permettront au Tchad d’exercer son autorité et sa souveraineté. Ces dernières ne peuvent avoir de sens dans ce pays que si la stabilité est pensée en termes de permanence, de solidité, de durabilité et de stratégie, et se situe au-delà des individus pour finalement entrer dans la dialectique des intelligences (Paul Amour Destin Mbeguele). La mort du président Idriss Déby Itno, et le soutien français au CMT, à la tête duquel trône le fils du défunt président de la République du Tchad, exprime la détermination de la France à préserver ses intérêts dans ce pays hautement stratégique (François Xavier Noah Edzimbi). Par ailleurs, l’insoutenable pauvreté dans laquelle est plongée une partie importante de la population tchadienne et le renoncement de ce pays à la puissance sont la conséquence de l’institutionnalisation des violences politiques qui, depuis l’accession du pays à l’indépendance ont été érigées en mode de gouvernance. La collusion des responsables politiques tchadiens avec la France et l’alliance hégémonique des forces anti-démocratiques constituent les causes les plus structurantes du bégaiement de la démocratie, de la démocratisation de la violence et de la marginalisation du Tchad sur l’échiquier international (Oumarou Wali). Seulement, la mise en place controversée du CMT est un indicateur de la continuité des logiques politiques des régimes présidents et du renoncement du pays à la puissance (Oumar Abdou Abbami).  

Séverin Tchetchoua Tchokonté

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