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S’il est une chose qui retient l’attention des observateurs des relations entre la France et l’Afrique, c’est bien la passe d’armes diplomatique consécutive aux propos du président français Emmanuel Macron sur l’ingratitude supposée des pays africains ayant bénéficié de l’appui militaire de la France. La critique véhémente du chef de l’exécutif français face à l’absence de reconnaissance de nombre de régimes politiques africains n’a pas manqué de susciter des réactions au plus haut sommet de l’État au Tchad comme au Sénégal. Pour les responsables politiques de ces pays, il s’est agi, en substance, de rappeler à la France la nécessité de réformer le regard qu’elle porte sur l’Afrique et sur les Africains.

Cette attitude s’inscrit en droite ligne d’une multitude de travaux dont la particularité est de souligner l’erreur d’une relation qui peine à se renouveler (Borrel et al. (dir.) : 2021). Pour François-Xavier Verschave, par exemple, la politique africaine de la France est prisonnière d’un système politique et institutionnel lui permettant de garder la mainmise sur ses anciennes colonies (1998). Les relations entre la France et l’Afrique marquent ainsi par leur caractère « très personnalisé et inévitablement dévoyé » (Bourgi, 2009), quand elles ne reflètent le paternalisme et une certaine arrogance (Glaser, 2016). Dans ces conditions, il devient difficile d’ignorer l’influence de conceptions passéistes (Banégas et al., 2007) sur la conduite de politique africaine de la France.

L’épisode diplomatique relevé à l’entame de ce texte permet de mettre en lumière les biais caractéristiques des rapports cafouilleux entre la France et l’Afrique. La multiplication d’actes et de prises de parole faisant le procès de la France en Afrique témoigne de la montée d’un « sentiment anti-français » (Tchetchoua Tchokonte : 2024). Au nombre de reproches faits à la France figurent en bonne place le maintien du Franc CFA et de l’Aide publique au développement (APD) ainsi que la présence militaire de la France sur le continent (Vircoulon et al., 2023).

S’il est difficile de parler d’un désamour, force est de reconnaître que la montée d’un discours décomplexé contre la politique africaine de la France n’est pas sans conséquence sur la pérennité des intérêts français en Afrique. Les critiques contre la France ont souvent été accompagnées de manifestations violentes contre des sociétés françaises et des représentations diplomatiques ou culturelles. La perte de vitesse de la France en Afrique se manifeste alors par une baisse progressive de son influence économique. En effet, la part de la France dans le commerce africain est passée de 10 à 5 % en un quart de siècle. Selon un rapport d’Hervé Gaymard au ministre français de l’Europe et des Affaires Étrangères et au ministre de l’Économie et des Finances (2019), les exportations de la France vers l’Afrique ont doublé sur un marché dont la taille a été multipliée par quatre en vingt ans.

De même, le montant de l’Aide publique au développement (APD), véritable instrument d’influence de la France, est inférieur aux impôts que paient les entreprises françaises sur le continent. Il est passé de 1 % à 0,55 % du PIB de la France en cinquante ans.

Sur le plan stratégique, les retraits successifs des troupes françaises du continent témoignent de l’affaiblissement de l’influence militaire de la France (Perouze de Montclos, 2020). Après le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Sénégal et le Tchad, c’est au tour de la Côte d’Ivoire d’annoncer le retrait « coordonné et organisé des forces françaises ». Loin de constituer un épiphénomène, le départ des troupes françaises de l’Afrique témoigne de la perte de vitesse du projet géopolitique de la France. Contrairement au discours public français, ce retrait ne peut être analysé sous le seul prisme de la réorganisation stratégique de la présence militaire en Afrique.

Si l’on considère le rôle historique de l’armée française en Afrique (Evrard, 2016), il devient difficile d’y voir un désengagement volontaire. En effet, la signature et le maintien d’accords de défense et d’assistance militaire technique entre la France et nombre de pays africains avaient pour objectif principal d’assurer à la première une zone d’influence sur le continent (Dumoulin, 1998). Par ailleurs, lesdits accords, fruits du pacte tacite de la décolonisation de l’Afrique francophone (Vircoulon, 2024), servaient surtout à rassurer les gouvernements africains qui accueillaient les bases militaires françaises (Evrard, 2016).

Ainsi, la dividende géopolitique des dispositifs pré-positionnés tient de ce qu’ils confèrent, selon le Livre Blanc sur la défense et la sécurité de 2008, « des avantages opérationnels dépassant le seul champ de la fonction de prévention ». C’est ce qui explique, sans doute, que pour le général Bertrand Ract Madoux, chef d’état-major de l’armée de terre, la liberté qu’octroient à la France ses bases militaires disséminées dans des régions du globe qui lui sont stratégiques est « un atout de tout premier ordre, et même un facteur de puissance ».

Le reclassement géopolitique de la France en Afrique peut également être analysé en considérant l’émergence de nouvelles puissances rivales. Considéré comme un espace sans intérêt stratégique à la fin de la guerre froide, l’Afrique est aujourd’hui très convoitée. Le statut du continent dans la division internationale du travail en fait un espace de rivalités entre puissances industrielles et émergentes pour le contrôle de ses ressources (Tchetchoua Tchokonte et Noah Noah, 2021).

C’est ainsi que les États-Unis et la Chine se positionnent comme les principaux acteurs de la géopolitique du pétrole en Afrique. Si les États-Unis font de la sécurisation de leurs approvisionnements un enjeu de sécurité nationale, la Chine met, quant à elle, ses ressources et capitaux au service de la multiplication des projets d’exploration et d’exploitation du pétrole. À côté de ces pays, la Russie avance ses pions dans la perspective de contester les certitudes géopolitiques (Noah Noah, 2019). Elle est très présente dans les projets gaziers et nucléaires, tout en fournissant un appui technique et militaire indirect à des régimes politiques à travers la firme Wagner.

D’autres pays comme le Japon, l’Inde, la Turquie ou le Brésil renforcent leur présence sur le continent à travers divers médiums (coopération pour le développement, commerce, projets industriels, etc.).