Le XXIe siècle sera celui de l’Afrique » ! Telle est l’affirmation qui ressort de nombreuses réflexions sur l’avenir de l’Afrique. Dans leur article intitulé « L’Afrique dans la gouvernance économique et financière mondiale », Jean Michel Severino et Pierrick Baraton cèdent à l’euphorie ambiante, non sans préciser les forces et les faiblesses du continent. Au nombre des bons points relevés, figurent son dynamisme économique marqué par un PIB de 5,1% en moyenne par an, la place de plus en plus importante occupée par le capital-investissement et une démographie source d’enjeux et d’opportunités (2,1 milliards d’habitants en 2050). François Jeanne-Beylot relève également quelques faits qui renforcent l’idée d’un réveil imminent de l’Afrique. Si elle revient sur le capital démographique du continent, elle précise que la jeunesse de la population africaine (plus de la moitié de celle-ci a moins de 18 ans) est son principal atout. Le potentiel en ressources minières du continent, dont bon nombre peuvent être considérées comme des matières premières stratégiques, ainsi que sa part dans les réserves mondiales de pétrole (13 à 15%) constituent, indéniablement, des facteurs d’une puissance trop peu mise en exergue jusqu’ici. Par ailleurs, la présence de plus en plus importante d’africains aussi bien dans les organisations les plus puissantes au monde, que dans les secteurs de la finance internationale ou de nouvelles technologies représente un capital humain à la disposition du continent. Il ne semble dont pas exagéré d’affirmer avec Camille Andrieu que « Le XXIe siècle s’invente en Afrique ».
Le discours optimiste d’une partie des intellectuels africanistes n’est pas sans rappeler celui de l’UA, héritière du projet de renaissance africaine. Si l’Agenda 2063 (« L’Afrique que nous voulons ») occupe une place de choix dans la pensée afro-optimiste, c’est bien parce qu’il permet d’entrevoir les perspectives positives consécutives à une rupture de l’Afrique avec les logiques de l’ordre actuel du monde. Les sept aspirations de l’Agenda 2063 apparaissent ainsi comme autant de signes du regain de vitalité d’un continent débarrassé des pesanteurs qui expliquent sa marginalisation.
La question du reclassement géopolitique de l’Afrique a partie lié avec son statut sur la scène internationale. S’évaluant à la lumière de son influence sur la marche du monde, le statut de l’Afrique semble paradoxal si l’on se réfère aux facteurs de puissance dont il dispose. Cela se vérifie dans la gestion des crises sur son sol autant que dans sa capacité à créer sa propre voie sur la scène internationale. La crise libyenne est une illustration éloquente de la difficulté de l’Afrique à tirer son épingle du jeu de puissance dans lequel elle est entrainée ; bien souvent contre son plein gré. Ladite crise a mis en lumière pusillanimité de la médiation menée par les pays africains.
L’économie africaine représente le second axe sur lequel pourrait s’opérer le reclassement nécessaire à la renaissance du continent. S’il est un fait indéniable, c’est bien que le développement économique reste un défi majeur pour l’Afrique. Même si les chiffres de la croissance de l’Afrique restent satisfaisants, force est de reconnaitre que le continent n’est pas encore un espace cohérent de développements tel que l’Europe.
Cette situation n’est pas sans susciter quelques inquiétudes. Il apparait intéressant de s’interroger, sans a priori, sur les moyens dont dispose l’Afrique pour favoriser, voire rendre inéluctable, son reclassement géopolitique d’acteur agi à puissance décisive.
Ainsi, l’Afrique est-elle en mesure d’imposer un nouveau partenariat aux puissances qui la convoitent ? Est-il opportun d’engager une rupture brutale des rapports avec les « partenaires » d’hier ? Comment analyser les démarches chinoise et russe en Afrique au-delà de leurs objectifs déclarés ? L’exploitation des ressources minières reste-t-elle un atout pour l’Afrique au regard de l’histoire et des problématiques de développement durable ? Comment peut-on concilier les objectifs de renforcement de la coopération intra-africaine et la nécessité de l’ouverture à l’ailleurs ?
En outre, l’influence grandissante d’acteurs extérieurs, anciens colonisateurs ou nouveaux partenaires, dans des économies pour l’essentiel exsangues contribue-t-elle à la création des conditions de « L’Afrique que nous voulons » ? Toutes ces questions et bien d’autres constituent la trame de ce numéro 10 de Dialectique des intelligences.
HAMAN Prosper s’intéresse à la question particulière de l’intelligence économique associée au travail de la douane. Il démontre que certaines missions de l’administration douanière participent d’une démarche d’intelligence économique certes encore embryonnaire, mais susceptible de contribuer à la puissance du Cameroun (pp.6-33). EMBIEDE EBALLA Marguerite Chantal revient, pour sa part, sur l’ambitieux projet que constitue l’opérationnalisation de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). Elle relève les bénéfices de cette initiative pour les pays africains, non sans souligner les limites que représente la rivalité entre le Nigéria et l’Afrique du Sud (pp.34-47). MESSIA NGONG Lionel fait une emphase sur les initiatives camerounaises de lutte contre le terrorisme. Sa contribution revient amplement sur les initiatives antiterroristes nationales et celles relevant de la sécurité collective (pp.48-66).
Cette question est également au menu de l’article de BLAMA Alexis B. Il relève que l’action antiterrorisme est responsable de l’endiguement de la menace terroriste et de l’échec des projets d’hybridation criminelle (pp.65-88). La revue s’achève avec la contribution d’ELOGO METOMO Salomon T. dont la particularité est d’insister sur les manœuvres politiques qui consistent à faire usage des normes juridiques afin de contrôler les libertés publiques et les droits de l’homme. La perspective choisie par cet article souligne non pas les signes du reclassement géopolitique du Cameroun, mais bien l’erreur que constitue l’usage politique des normes pour un pays à la croisée des chemins (pp.89-122).
Séverin TCHETCHOUA TCHOKONTE, Rédacteur en Chef