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Processus électoraux en Afrique

La fin de la guerre froide n’a pas eu que des conséquences géostratégiques et géopolitiques. Au plan politique, en effet, le « vent de l’Est » a boosté à travers les pays d’Afrique au sud du Sahara la volonté, jamais démentie malgré les opérations de pacification visant le nationalisme ou l’institutionnalisation des systèmes politiques autoritaires et répressifs, des populations de vivre dans des sociétés démocratiques. Ainsi, dans le sillage du vent de l’Est, un peu partout en Afrique, les régimes au pouvoir ont fait face à des soulèvements populaires dont le fondement était dans chaque pays le même : la contestation du parti unique, le rejet de la dictature et du pouvoir perpétuel et par conséquent, la réclamation véhémente de retour ou de l’instauration du pluralisme politique, selon les cas, et donc l’édification d’une société démocratique où les libertés politiques et civiques ne sont plus confisquées.

C’est dans ce contexte qu’au début des années 1990, les pays d’Afrique au sud du Sahara se sont lancés, dans des conditions diverses et parfois dramatiques dans des processus démocratiques dont le rythme général renseigne sur les réticences, voire l’adversité de nombreux régimes quant à l’ouverture démocratique tant souhaitée et plus exactement réclamée par les peuples.

Ainsi, dès l’amorce des processus de démocratisation, qui dans la plupart se sont enclenchés après de violents affrontements meurtriers opposant les forces conservatrices à la tête desquelles se trouvaient les régimes au pouvoir aux réformateurs bruyamment soutenus par la rue, il s’est instaurée une relation de défiance profonde entre les parties. Avec une telle configuration, les processus électoraux amorcés au début des années 1990 dans de nombreux pays africains portaient les germes de contestation, tant il n’existait pas de confiance entre les acteurs politiques. L’élection est la compétition par excellence dans le champ politique. Même dans les sociétés démocratiques, elle est parfois un moment de tension entre les partis politiques. Plus grave, dans les sociétés où les divergences politiques sont profondes, l’histoire quelquefois très violente, les rancoeurs politiques et un passé électorale heurté et fait de fraudes systématiques, officielles et assumées, n’ont pas permis de construire un minimum de confiance politique, l’élection est un moment de toute les suspicions. L’État africain est, en raison de l’histoire, un État postcolonial, pensé et conçu par les stratèges coloniaux aux fins de servir les intérêts géostratégiques de leur patrie. Il est caractérisé par son extraversion et sa cécité stratégique qui, contrairement aux États politiquement et stratégiquement émancipés, concèdent à des partenaires bilatéraux et multilatéraux des pans entiers de sa souveraineté. Si jusqu’ici les accords de coopération dans les domaines sensibles de la sécurité et de la défense, de la monnaie et de l’économie sont généralement présentés comme la preuve de l’extraversion de l’État postcolonial africain, il se dégage que le domaine politique, et précisément la question électorale, est, depuis le retour/ l’instauration du multipartisme au début des années 1990, un enjeu géostratégique important pour les puissances étrangères en Afrique Noire.

Sous l’administration coloniale ou sous la tutelle internationale sur les anciennes colonies allemandes, au lendemain de la seconde guerre mondiale, les élections servaient déjà d’instrument géostratégique aux stratèges coloniaux des puissances impériales.

L’apprêté de la compétition entre puissances en Afrique au lendemain de la fin de la guerre froide, intensifiée par la « redécouverte de l’Afrique » par des puissances autres qu’européennes, la surexposition géopolitique de l’Afrique au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, en raison des nouveaux enjeux autour des approvisionnements mondiaux en pétrole, et de l’incapacité des États africains à se construire une autonomie politique, les acteurs dominants de la communauté internationale donnent au contrôle des processus électoraux en Afrique un dimension géostratégique exceptionnelle.

Les accusations d’ingérence des services russes1 dans les résultats des élections présidentielles américaines de 2016 portées par la justice américaine et l’officialisation de l’accusation de la menace russe sur la campagne présidentielle française de 20172 renseignent à suffisance sur l’importance géostratégique du contrôle des processus électoraux.

Aussi, ce numéro de la Revue Dialectique des Intelligences du premier semestre 2018 se propose d’analyser les enjeux de la supervision internationale des processus électoraux en Afrique noire, près de trente ans après le retour/ l’instauration du pluralisme politique dans cette partie du continent.

Quelle lecture politico-stratégique doit-on faire de cette tendance lourde des États d’Afrique Noire à toujours faire appel à la communauté internationale pour officier comme arbitre et pour crédibiliser les processus électoraux ?

Dans un contexte de rude concurrence géopolitique entre puissances traditionnelles et nouvelles, l’investissement étranger dans les processus électoraux en Afrique s’inscrit-il dans des projets géostratégiques ou plutôt est-il au service de l’enracinement vertueux de la démocratie, entendue comme une valeur au-dessus des calculs du jeu de puissance ?

Le renseignement rempli deux fonctions stratégiques que sont la connaissance et l’anticipation, la mise de la compétition électorale en Afrique sous le contrôle des puissances étrangères ne facilite-t-elle pas pour ces dernières la transformation de l’espace politique des pays africains au mieux de leurs intérêts, et donc de la réalisation de leurs projets géostratégiques sur le continent ?

Les approches historiques, politiques, diplomatiques et stratégiques permettent de répondre à toutes ces interrogations qui mettent en lumière les enjeux géostratégiques du contrôle des processus électoraux en Afrique par la communauté internationale en générale, et par les grandes puissances en particulier.

Alain FOGUE TEDOM