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Afin de rendre compte du problème persistant du blocage démocratique au Cameroun, ce travail adresse le problème de l’arlésienne démocratique dans ce pays sous un prisme spatial. Partant du concept foucaldien de « diagramme », ce texte montre comment suite à l’effervescence populaire et aux défections politiques des territoires urbains et ruraux des pôles Nord et Ouest du territoire, qui ont fait vaciller le régime Biya au début des années 1990, celui-ci développera un savoir sur les communautés et déploiera des technologies de « frontiarisation » interne et de dressage sociopolitique afin de conjurer le risque systémique de son effondrement. Ces technologies politiques lui permettront de reconquérir frauduleusement et/ou artificiellement des territoires politiquement décisifs. Les villes, demeurant, plus étanches à ces mécanismes de pénétration, ce sont les villages qui constituent les sites privilégiés de cette capture systémique.

Mots clés : Démocratisation, géographie politique, diagramme foucaldien, ethnicité politique, Cameroun.

 

Abstract :

In order to report on the persistent problem, of democratic blockade in Cameroon, this work analyses the question of democratic arlesian in this country under a spatial prism. Starting from the foucaldian concept of “diagram”, this work shows how following the popular effervescence and political defections of the urban and rural territories of the North and West poles of the territory, which caused the Biya regime to falter in the early 1990s, will develop knowledge about communities and deploy community-based technologies of internal “boundarising” and socio-political “dressage” to prevent the risk of its collapse. Theses political techniques will promote its fraudulent and/or artificial reconquest of strategic political territories. The cities, being, more impervious to these penetration mechanisms, are the villages which constitute the privileged sites of this capture.

 

Keys words:

Democratization, political geography, Foucaldian diagram, political ethnicity, Cameroon

 

Introduction

« Maurice Kamto n’a pas à venir distribuer ses gels désinfectants ici à Yaoundé. Qu’il aille faire ça dans son village à Baham » 1, ainsi criait Valdo, un militant du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), sur les ondes de la Radio Soleil basée à Yaoundé, dans un contexte marqué par l’impératif de riposte contre la pandémie de la covid-19. Si l’on peut s’outrer du caractère grégaire d’un tel discours, le politiste tenu par l’impératif de distanciation qu’impose le positivisme y voit surtout une perche pour saisir les ressorts pratiques du politique au Cameroun.

On y découvre, d’une part, la banalité du discours fixiste, et d’autre part, un matériau d’analyse du jeu politique camerounais dans un contexte d’arlésienne transitionnelle[1]. Cette volonté de cantonner le déploiement politique des opposants dans leurs villages d’origine, traduit bien une conception spatialement segmentaire, morcelée et grégaire du jeu politique en contexte pluraliste africain. De facture Hégémonique, le régime de Yaoundé a construit, depuis son vacillement de l’année 1992, un système politique étagé au sein duquel l’opposition est réduite à un rôle de subordination et de gestion des parcelles que lui concède la polyarchie gouvernante[2].

Affairé à perpétuer sa mainmise sur la rente étatique, la camarilla présidée par l’inamovible Paul Biya, s’est employée, année après année, à affaiblir et à éroder les bases sociale et spatiale des factions politiques concurrentes moyennant l’exacerbation des clivages identitaires, l’instrumentalisation du droit, les pratiques clientélistes, le patronage, la répression, l’interdiction de manifestation publique, la diabolisation propagandiste de l’opposition et les fraudes électorales[3]. Sous les coups de boutoir de la machine RDPC, des opérateurs historiques de l’opposition Camerounaise, à savoir Bello Bouba Maïgari de l’Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès (UNDP) et Ni John Fru Ndi du Social Democratic Front (SDF), ont progressivement vu leur envergure spatiale régressée d’une couverture nationale vers des enclaves régionales.

 

1 Émission diffusée en direct le vendredi 02 avril 2020, sur la radio Soleil, FM 104.

[1] Voir Moluh, Yacouba, « L’interminable transition au Cameroun : tentative d'autopsie d'une impasse », Revue Africaine d'Études Politiques et Stratégiques (Université de Yaoundé II), 2011, n° 7, p. 63-89 ; F. Eboko, « L’État stationnaire, entre chaos et renaissance », Politique africaine (Karthala), n° 150, 2018, p. 5-27.

[2] G. Sartori, Partis politiques et systèmes de partis. Un cadre d’analyse, Bruxelles, Éditions de l’Université Libre de Bruxelles, Trad. Van Berg P.-L., Introduction, Mair P., Coll. Fondamentaux, 2011 [1976], p. 321-330.

[3] J.-F. Bayart, « Conclusion » Dans Itinéraire d'accumulation au Cameroun. Pathway to accumulation in Cameroon, de Peter Geschière et Piet Koning, Paris-Leiden, Karthala et Africa-Studies, 1993, p. 339-341. J.-F. Bayart, L'État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard. 1989, p. 277-279, E.-M. Owona-Nguini et H.-L. Menthong, « « Gouvernement perpétuel » et démocratisation janusienne au Cameroun (1990-2018) », Politique africaine (Karthala), n°150, 2018, p.97-114.