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Analyser la politique étrangère d’un Etat, ou d’un groupe d’Etats est une œuvre nécessairement complexe. Cela implique aussi bien la prise en compte d’une diversité d’instruments, l’intégration de dynamiques internes que la recherche d’invariants s’inscrivant dans un temps relativement long. Contrairement aux théories des relations internationales dont elle se distingue (J.F. Morin, 2013 :11), l’analyse de la politique étrangère s’intéresse au processus de fabrication des décisions de politique étrangère (Hudson : 1995 : 210-211). Elle se situe à cheval entre les théories des relations internationales et l’analyse des politiques publiques (J.F. Morin, 2013 :11). Cela implique que les actions, les réactions et les inactions de l’Etat, mieux la bureaucratie étatique, constituent les principales sources à la disposition du chercheur. Analyser la politique étrangère revient ainsi à s’intéresser, en particulier, à la conduite de l’Etat et aux sources de ses décisions (Alden et Aran, 2012 : 1). L’erreur ici serait de considérer la politique étrangère comme figée dans le temps et incapable de s’adapter à son environnement. Elle est, par définition, dynamique et exposée à des champs de force tant au niveau interne qu’à l’international.

Plusieurs auteurs se sont intéressés aux motivations de la politique étrangère. Bien qu’il n’existe aucun consensus sur la question, il nous semble utile d’en faire une recension, même minimale. Pour Hans Morgenthau, la politique étrangère est un instrument au service des intérêts vitaux de l’Etat (Morgenthau, 1948). La défense de l’intérêt national est ainsi au cœur des préoccupations des décideurs en matière de politique étrangère (Alden et Aran, 2012 :3) ; de même que la protection de la souveraineté nationale (S. Krasner, 1978). Il s’agit également pour l’Etat de garantir sa sécurité ou de maximiser sa puissance (Morgenthau, 1948). A côté des thèses qui expliquent la politique étrangère en considérant la rationalité du décideur politique, d’autres ont émergé dans l’objectif de relativiser le caractère infaillible et éclairé du processus de fabrication de la politique étrangère. Alden et Aran pensent ainsi que la politique étrangère d’un Etat peut être influencée par des considérations propres aux décideurs politiques (Alden et Aran, 2012 :23). Pour Mintz et DeRouen, il existe nécessairement des biais dans le processus de recherche de l’information utile à la fabrication de la politique étrangère (Mintz et DeRouen, 2010 :9). C’est à un constat identique qu’aboutit Legrand lorsqu’il considère que la prise en compte d’analogies non pertinentes peut conduire à des erreurs d’appréciation des situations réelles (Legrand, 2004 :83).

Il apparait donc que l’analyse de la politique étrangère d’une autorité politique est plus complexe qu’elle n’y parait. En tant que phénomène « se faisant » et, de ce fait, nécessairement dynamique, la politique étrangère ne saurait être considérée en dehors d’une vision holistique de son processus de fabrication. La difficulté dans le cas précis des Etats du continent africain serait de considérer l’attitude des autres Etats sur la scène internationale comme influencée uniquement par des inputs de coercition ou d’intervention. S’il est admis que l’Etat africain est caractérisé par un degré élevé d’extraversion (A. Fogue, 2008) c’est bien parce qu’il existe une communauté d’intérêts entre le « dedans » et le « dehors ». La politique étrangère des pays africains est ainsi le fruit de « l’alliance hégémonique » entre les puissances étrangères et l’élite politique africaine (M. Kamto, 2010 : 61). Cette lecture de la politique étrangère à l’aune de la dialectique indépendance-influence apparait utile à sa compréhension. Il est impossible de saisir l’attitude de l’Etat sur la scène internationale en considérant uniquement sa dépendance « au dehors ». Comme le reconnaissent Ferguson et Mansbach, la politique intérieur est essentielle à la compréhension de la politique étrangère (Ferguson et Mansbach, 1991 ; Kappen, 1993 ; Kaarbo, 2001). Politiques interne et étrangère sont ainsi indissociables car s’inscrivant dans un même projet social et politique (Braillard et Djalili, 1997 : 60). La thèse développée par Allison inscrit la politique étrangère dans les logiques de marchandage et d’affrontement. Pour lui, celle-ci est d’abord le résultat d’un compromis, d’un conflit entre officiels d’intérêts divers et d’influence inégale (Allison, 1971). Ainsi, il est indispensable, pour comprendre et expliquer une politique étrangère, d’étudier les processus de prise de décision et les dynamiques internes à l’État (Sprout et Sprout, 1965).

L’Afrique fait office de continent pivot pour nombre de puissances étrangères. C’est une position qu’il faut conquérir si on souhaite dominer le monde. Il est donc aisé de relever le caractère nécessairement intéressé de la politique étrangère des partenaires des Etats du continent que l’on considère la diplomatie des grandes puissances et des puissances moyennes, l’aide publique au développement, la coopération économique et militaire ou même l’assistance technique (S. Tchokonte, 2011 : 122 ; F. Noah Noah, 2017 ; M.C. Embiede Eballa, 2019). Ce qu’il importe d’interroger c’est l’attitude de l’Etat africain face au projet de puissance de ses partenaires. Considérant l’inscription de la politique étrangère dans un système d’interactions et de réactions ponctuelles ou répétées (Frankel, 1963 ; Stein, 1971), l’analyse de l’attitude de l’Etat africain sur la scène internationale révèle tout son intérêt. Il s’agit de voir comment celui-ci réagit face aux inputs de socialisation, de coercition et d’intervention au cœur de la politique étrangère de ses partenaires (J.F. Morin, 2013 : 35 et s.) et dans quelle mesure son action, son inaction ou sa réaction participe à la modification ou au maintien du statu quo.

Le numéro 8 de la revue Dialectique des Intelligences souhaite est le fruit d’une diversité d’opinions sur la question de l’attitude de l’Etat africain sur la scène internationale. Il s’intéresse à la question de la fabrication et de l’opérationnalisation de la politique étrangère pour mieux saisir la place de l’Afrique sur la scène internationale. L’objectif de la revue est alors de contribuer à une meilleure compréhension de la politique étrangère de l’Etat africain en tant qu’expression d’une certaine idée de l’intérêt national et illustration de la nécessaire imbrication entre politiques intérieure et internationale. Fabrice NOAH NOAH analyse les méandres de la diplomatie climatique de l’Afrique du Sud, « diplomacy of ubuntu », située dans « l’entre-deux ». Une diplomatie soucieuse de s’arrimer aux engagements internationaux de l’Afrique du Sud, mais incapable de se départir de la « realpolitik ». Yves-Patrick MBANGUE NKOMBA et Paul Edouard MESSANGA EBOGO étudient les mécanismes qui concourent au processus de fabrication et de mise en œuvre d’une politique étrangère de défense collective à caractère communautaire contre le phénomène Boko Haram dans le bassin du lac Tchad. Ils affirment que la construction de la politique étrangère de sécurité commune est l’expression des perceptions sur la menace par les acteurs étatiques dont l’articulation repose sur une politique publique de sécurité intégrant la dimension locale et dont la mise en œuvre correspond à la logique du global. Serge Eric DZOU NTOLO quant à lui affirme que le rapport à l’international des pays membres de la CEMAC obéit à la structuration d’un cloisonnement géopolitique sous forme de parentalité délimitée par des bornes linguistique, monétaire et de découpage sous-régional. Sur cette lancée, pour Léopold NOUFFEUSSIE NGUEUTA, le réseau de politique étrangère BIYA-DÉBY propose un schéma d’interprétation des relations extérieures complémentaires Cameroun-Tchad qui met l’accent sur le caractère historico-sociologique, sécuritaire, géographique et économique, généré par un cadre institutionnel diplomatique. Les échanges et la combinaison des ressources de l’alliance de politique étrangère BONGO-SASSOU vont de la géographie à la sociologie en passant par l’histoire et les profonds liens personnels nés entre les classes dirigeantes des deux pays. Ces réseaux offrent la possibilité de réconcilier les dimensions économiques et sociales au sein du « club d’États ». Chantal EMBIEDE EBALA présente les incohérences politique, diplomatique et stratégique du président de la République comme les principaux déterminants de la politique d’impuissance du Cameroun en Afrique Centrale CEMAC.                 

Séverin TCHOKONTE, Rédacteur en chef.

 

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